Après des débuts chez Arthur Andersen, puis Edmond de Rothschild, où il dirige une filiale bancaire et gère les affaires spéciales, Arnaud Marion, un manager de crise bien connu du restructuring, crée sa société, Marion & Partners, à Paris en 2001 puis à Londres en 2014. Spécialisé dans la gestion des crises et des transformations, ce fils de Général de Gendarmerie, dont les voisins de palier étaient les fondateurs du GIGN, comprit dès son plus jeune âge qu’en temps de crise, on ne pouvait être à la fois otage et négociateur. Capitalisant aujourd’hui sur 20 ans de management de crise, l’auteur de « Partout où je passe, les mêmes erreurs » et de « 21 semaines pour s’en sortir » a fondé il y a un an l’Institut des Hautes Études en Gestion de Crise (IHEGC), une « école » comme il dit dédiée aux dirigeants, en les formant à la gestion des crises et des transformations, dans le but de leur apprendre la haute mer. La prochaine session aura lieu à partir du 26 novembre 2021, la suivante à partir du 4 mars 2022.
Mayday : Pouvez-vous nous raconter l’histoire de l’IHEGC ?
Arnaud Marion : En janvier 2019, j’ai une discussion approfondie avec le Directeur Général de BPI France, Nicolas Dufourcq, sur le management, ce qui nous avait conduit à constater que la nouvelle génération de dirigeants était très compétente et technique, mais habituée au temps calme, et peu à même de de gérer des entreprises par temps de crise. Se pose alors une problématique : comment former une génération de professionnels compétents en haute mer ? C’est ce à quoi je m’attèle en octobre 2019 après mon mandat chez Velib’, et ce qui me conduit ensuite à la rédaction de mon premier livre « Partout où je passe, les mêmes erreurs » qui consiste à conceptualiser toutes les erreurs que j’ai rencontrées dans ma vie de manager de crise, sur une expérience professionnelle de plus de 30 ans.
En 2020, arrive la crise de Covid-19, puis le premier confinement. J’ai décidé de prendre la parole au nom de l’IHEGC sous le format de web conférence : j’ai été surpris par l’ampleur des audiences cumulées avec en tout plus de 4000 personnes dont 3000 dirigeants, et 400 questions reçues. C’est à ce moment que j’ai décidé de l’école sera « live » digitale. L’IHEGC a ainsi développé le cycle IHEGC décideurs, un cycle de formation expert pour former les dirigeants à la gestion des crises et des transformations. Et nous avons obtenu cette année notre certification Qualiopi qui permet la prise en charge des formations par les organismes financeurs.
Mayday : Quel est le public visé par vos formations ?
AM : Je m’adresse d’abord à une population de dirigeants avec le souci de transmettre l’information dont ils ont besoin. Je réserve ces formations pour 12 personnes maximum. L’idée est d’apporter de la méthode pour adopter les bons réflexes avec des do et don’t, dans divers domaines tels que la gestion et le management. On parle de comprendre les dimensions de la crise, de gestion de crise, d’adopter le bon comportement avec les parties prenantes, et bien sûr de transformation des modèles économiques pour créer de la résilience dans un but de pérennité. Chaque session se divise en quatre modules de 5 heures, j’essaye d’illustrer mes propos avec beaucoup d’exemples et à chaque fois par des études de cas détaillés.
Je travaille avec une dizaine d’experts. Parmi eux, je peux compter sur Guillaume Foucault (CORPCOM) qui intervient sur la communication de crise, Philippe Lentschener (RAGE) sur la réputation et stratégie de marque, Antoine Mahy (TILT-KEA PARTNERS) sur la raison d’être, Bruno Courtine (VAUGHAN AVOCATS) sur les crises sociales, Pierre Jager (ancien Colonel de l’Armée de l’Air et expert chez Thalès) sur les crises opérationnelles, Jérôme Wallut (K-CIOPE) sur l’UX (expérience utilisateur) comme levier de transformation, et Eric Boustouller (ancien CEO de SOLOCAL) en matière de plan stratégique de la société SOLOCAL. C’est une pédagogie complète et pluridisciplinaire, basée sur des expériences qui sont les miennes ou celles de mes experts.
Mayday : Quelle est votre cible première ? Qu’est-ce qu’un professionnel du retournement peut trouver dans votre formation ?
AM : L’IHEGC cible les dirigeants au sens large, donc les CEO, PDG, DG et les membres du comité de direction. J’ai d’ailleurs une grande majorité de sociétés qui vont bien ! Il y a également des avocats , des conseils en stratégie, des investisseurs, et aussi des chasseurs de têtes exécutifs. Et ensuite, il y a également les professionnels du restructuring ou ceux qui aspirent à le devenir : managers de transition, administrateur judiciaire également, et toutes les nouvelles recrues de la Clinique de la Crise créée par David Lacombe qui m’a fait confiance.
Mayday : Depuis que vous vous êtes lancé, combien de personnes avez-vous formées ?
AM : Jusqu’à présent, 58 dirigeants ont été formés, dont 11 professionnels du restructuring avec 1 administrateur judiciaire mais aussi 3 avocats, 2 conseils en stratégie, 1 chasseur de tête, et 5 directeurs d’investissements dans des fonds. Ce que je recherche dans mes sessions est avant tout l’homogénéité de niveau, mais une hétérogénéité de parcours.
Mayday : Dans quelle optique un professionnel du retournement vient-il frapper à la porte de l’IHEGC ?
AM : Les professionnels viennent pour compléter leur formation, ils ne sont pas rompus à la gestion de crise en tant que tel. Ils ont souvent rencontré des situations complexes dont ils étaient un maillon en tant que managers de transition, mais ils veulent avoir les clés d’une gestion globale de la complexité. Ils comprennent également que la transformation est un enjeu, et veulent améliorer leur compréhension et avoir une méthodologie.
Mayday : La gestion de crise doit être enseignée aux chefs d’entreprise qui ont déjà amassé une certaine expérience. Ne devrait-elle pas également irradier les programmes des écoles de commerce ?
AM : La formation que j’ai élaborée est une formation qui s’adresse à des dirigeants. C’est une activité sur-mesure en déclinant ce que je sais faire à des populations spécifiques. Par rapport aux écoles, je suis intervenu au sein du Master ALED de Lyon III et d’autres universités, notamment celle de Montpellier. Mais il ne faut pas confondre le restructuring avec la gestion de crise. La gestion de crise est une composante forte du management qui doit être absolument enseignée, tandis que le restructuring est une composante forte de l’entreprenariat, car tout dirigeant s’y confrontera un jour ! Ce ne sont pas les mêmes acteurs. Et avec la crise du Velib’ par exemple, on a bien vu que cette situation opérationnelle complexe n’avait rien à voir avec du restructuring : on était dans un retournement industriel, et dans une gestion de crise relationnelle avec de forts enjeux réputationnels et financiers à la clé.
Mayday : Comment appréhendez-vous le fait de former des managers de croissance à la gestion de crise ?
AM : Il faut apprendre à ne pas se laisser surprendre. Je forme essentiellement une génération post crise Covid-19, il est donc difficile d’expliquer à un dirigeant qui a le sentiment de savoir gérer son entreprise en crise, qu’il y est parvenu grâce aux subventions d’état, alors que l’on est désespérément seul lorsque l’on gère une crise isolée d’une entreprise. Par ailleurs ma formation n’est pas centrée sur la gestion de crise car elle est dédiée pour sa moitié à la transformation des entreprises. Il y a pour nous un lien direct, la transformation est essentielle pour les entreprises pour minimiser les risques de crise. Beaucoup d’entrepreneurs ne sont pas conscients que leur chaîne de valeur se fait intermédier. C’est pourquoi ma cible est donc de former les dirigeants et membres de Comités de direction qui travaillent pour les 140.000 PME et 6000 ETI en France
Mayday : L’IHEGC malgré sa jeunesse est-il présent dans les media ?
AM : L’IHEGC est également un institut de recherche et d’analyse qui intervient régulièrement dans le débat public sur les mouvements de restructuration, de transformation, de gouvernance et d’activisme actionnarial. Nous avons pris cette année via une tribune dans Les Echos (sauvons nos commerces, notre véritable réseau social – 23 avril 2021) des positions que nous avons défendues auprès du gouvernement pour faire évoluer le traitement des commerces en faisant évoluer les modalités du fonds de solidarité, de l’aide coûts fixes ou loyers pour rendre le dispositif équitable vis-à-vis de ces entreprises fortement touchées par les fermetures administratives.
Par ailleurs, d’un point de vue médiatique, nous avons deux rendez-vous mensuels récurrents, notamment avec BSMART TV sur l’actualité des signaux faibles sur la restructuration et la transformation, mais également avec l’ADN, sur un sujet libre lié aux problématiques contemporaines économiques et sociales des entreprises. L’IHEGC intervient aussi régulièrement dans la presse sous forme de tribunes, notamment dans Les Echos, L’Opinion, ou encore France Info. Enfin, nous intervenons une dizaine de fois par an dans les matinales économiques sur BFM Business, Radio classique ou encore Europe 1.
Mayday : Quelles sont les autres activités de l’IHEGC ?
AM : L’IHEGC à co-fondé avec Entreprises & Cités et IRD Gestion, le FE2T, Fonds Entrepreneurial Territorial de Transformation dans les Hauts de France. Le FE2T est un fonds de capital transformation de 100 millions d’euros créé afin de soutenir des projets de transformation d’entrepreneurs en apportant à la fois des fonds propres, et de l’expertise de transformation grâce à l’IHEGC, qui va accompagner les entrepreneurs tout au long de la durée de vie de l’investissement. Pour ce faire, nous nous sommes alliés avec une quinzaine d’entrepreneurs des Hauts de France (la famille Mulliez via l’AFM, Octave Klaba le fondateur de OVH Cloud, Fabien Derville le Président de Decathlon, Patrick Colin,…), qui ont apporté les deux tiers de notre fonds. L’IHEGC s’est déjà diversifié en un an, mais c’était un projet du début. Ce qui est intéressant, c’est de créer un écosystème complet autour de la notion de transformation.
Propos recueillis par Lucile Guillerault