Le 10 mars 2021, la Banque de France publiait des statistiques sur les défaillances d’entreprises pour les mois de janvier et février 2021. La baisse enregistrée résulte des mesures de soutien mises en place par le gouvernement français (aides de trésorerie ou réduction ou report du paiement de certaines charges). Dans la même optique, la CNAMJ a également publié une étude pour le premier trimestre de l’année 2021. Ainsi, la France enregistre une baisse de 19% du nombre de procédures collectives au 1er trimestre 2021 par rapport à 2020.
La France enregistre une baisse de 19% du nombre de procédures collectives au 1er trimestre 2021
Lors du premier trimestre 2020, la France comptait 9 907 procédures collectives contre 8 045 enregistrées en 2021 soit une baisse de 19%. La baisse la plus importante concerne les redressements judiciaires dont le nombre d’ouvertures a été plus que divisé par deux. En effet, 2 636 procédures de redressement judiciaire ont été ouvertes au 1er trimestre 2020 contre 1 360 à la même période cette année.
Sans surprise ce sont les secteurs les plus directement touchés par la crise sanitaire liée à la Covid-19 qui se démarquent par des volumes d’ouvertures de procédures collectives élevés, à l’image de la construction (21%), du commerce (18%) et de l’hôtellerie-restauration (10%).
En termes de zones géographiques, les plus touchées sont l’Ile-de-France qui représente 22% des ouvertures de procédures puis les régions Auvergne Rhône-Alpes et PACA.
Concernant les tailles d’entreprises touchées, 90% des procédures collectives continuent de concerner des entreprises de moins de 10 salariés. Partant, moins de 1% des procédures collectives concerne des entreprises de plus de 51 salariés.
L’étude menée par Altares, sur la même période, démontre également que nombre de procédures collectives continue de reculer fortement, après avoir atteint son plus bas niveau en 30 ans fin 2020.
« Cette baisse est à mettre en face des nombreuses aides mises en place par l’État pour soutenir l’économie et qui fonctionnent bien. Mais attention, les PGE ne sont que des prêts et les reports de charges sont des reports. Il est important que les entreprises anticipent le moment où il faudra rembourser » explique Christophe Basse, Président du CNAJMJ. Thierry Million, directeur des études Altares, partage ce point de vue en précisant que « toujours sous perfusion publique, les entreprises tiennent. Mais tout l’enjeu est désormais d’anticiper sur l’avenir, lorsque les dispositifs d’aides s’arrêteront ».
Thierry Million poursuit en ajoutant que « les entreprises qui ressortiront de cette crise dans les meilleures conditions sont celles qui, au-delà de leur propre situation financière, pourront compter sur des fournisseurs et des clients fiables et solides. Gare à l’effet domino au moment de la reprise, le risque de défaut des clients est en effet très élevé ! ».
Toutefois, l’étude menée par Altares précise que le mois de mars pourrait cependant constituer un point de bascule. En effet, en mars ont émergé des chiffres concrets sur la détresse de centaines d’entreprises qui se trouvent en cessation de paiement, en dépit des dispositifs de soutiens publics.
Un système français spécifique et protecteur
Les dispositifs d’accompagnement des entreprises en difficulté en France donnent une large part à la seconde chance, avec des procédures confidentielles et des praticiens spécifiques. La boite à outils des administrateurs et mandataires est ainsi plus large et diversifiée que celle de leurs homologues européens.
L’accompagnement des entreprises en difficultés fait l’objet d’un traitement particulier en France. En effet, la France est le seul pays dans lequel il existe deux types de praticiens pour représenter les intérêts des parties prenantes : les administrateurs judiciaires représentant les intérêts des débiteurs et les mandataires judiciaires représentant ceux des créanciers. Actuellement, la France compte plus de 450 professionnels et 4 500 collaborateurs réunis dans 288 études réparties sur tout le territoire.
Par ailleurs, une étude comparative conduite sur demande du CNAJMJ dans six pays européens (France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Espagne et Pays-Bas) démontre que le dispositif de prévention, de sauvegarde et de redressement des entreprises en difficulté en vigueur en France permet une meilleure préservation de l’activité et l’emploi. Cette analyse comparative met ainsi en lumière une forte spécificité du système français, notre droit étant plus protecteur que celui de nos voisins.
En termes de sauvegarde de l’emploi, les procédures collectives françaises permettent de sauver 145 000 emplois par an, soit 68 % des emplois concernés par des procédures collectives, contre 10 % en Allemagne.
Le système français permet également de sauver plus d’entreprises et donc de préserver plus d’activités. À l’issue des procédures, 39 % des dossiers échappent à la liquidation en France contre 8 % aux Pays-Bas, 5 % en Allemagne et 2 % au Royaume-Uni.
Les résultats du système français s’expliquent en partie par son organisation spécifique et en partie par un plus grand recours aux procédures préventives et par une part plus élevée de redressements par rapport aux liquidations.
« Les procédures dans les autres pays sont plus liquidatives et disposent de moins d’outils pour maintenir le chef d’entreprise à la tête de la société et préserver l’emploi. Pourquoi ? Parce que nous anticipons – on intervient notamment avant la cessation de paiements. On fait aussi de la médecine préventive dans un cadre amiable et confidentiel. Un point essentiel pour les chefs d’entreprise » détaille Christophe Basse, Président du CNAJMJ. « Depuis la Loi Badinter en 1985 qui a créé la profession d’administrateur et mandataire judiciaire, la justice économique à la française obéit à une logique qui consiste à considérer qu’au-delà du simple débat entre un débiteur et ses créanciers, une entreprise, c’est un écosystème dont la préservation contribue à la richesse nationale » ajoute Frédéric Abitbol, Vice-Président du CNAJMJ. Notre vision de l’entreprise en difficulté est donc différente de celle adoptée par nos voisins européens.
Ainsi, selon une étude menée en mars 2021 par Asterès, le système français apparaît comme efficace puisqu’il parvient à assurer de meilleurs taux de survie des entreprises, protégeant donc davantage d’emplois sans nuire aux créanciers. Ces performances s’expliquent par l’organisation du système : l’existence d’une procédure de prévention, confidentielle, réduit les risques d’inquiétudes des créanciers et des clients et permet de résoudre les difficultés avant que celles-ci ne soient trop graves. À quoi s’ajoute la présence de deux types de praticiens, administrateurs et mandataires, facilitant la conciliation des intérêts des parties prenantes.
Néanmoins, sous l’angle de la survie à moyen terme des entreprises sauvées de la faillite grâce aux procédures de prévention ou moyennant l’arrêté de plan de sauvegarde et de redressement, les résultats sont plus mitigés. En effet, 2 ans après l’ouverture d’un dossier et dans le cas où l’entreprise n’a pas été liquidée, 38 % des entreprises sont encore en activité. Si l’on se place 5 ans plus tard, ce chiffre tombe à 26 %. En se basant sur ce critère, l’Allemagne obtient de meilleurs résultats. En effet, presque 75 % des entreprises ayant obtenu un plan de sortie d’une procédure d’insolvabilité sont toujours actives 2 ans après et 50 % sont actives 5 ans après.
Par Caroline de Bonville