Les difficultés structurelles du secteur du retail et de celui de la chaussure de ville face au marché croissant des sneakers, accentuées par le contexte de crise actuel, continuent à faire des dégâts. Ce lundi 20 janvier 2023, c’est la marque de chaussures en cuir et d’articles de maroquinerie San Marina qui a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Marseille. Ses différents actifs, principalement sa marque et ses fonds de commerce, seront donc cédés dans ce cadre.
Fondée en 1981 à Marseille, San Marina qui exploite la marque française éponyme propose une large offre de chaussures en cuir et d’articles de maroquinerie. Son concept de commercialisation très simple et original (magasins avec un aménagement qui ne nécessitait ni meubles, ni réserve car les modèles de chaussures étaient présentés sur des piles de boites à chaussures) lui assurait un bon positionnement sur le marché qu’elle visait. Mais depuis sa création, le marché de la chaussure de ville a souffert de l’envolée des ventes de baskets dont l’usage est devenu quotidien.
En 2001, la marque est rachetée par le groupe Vivarte qui possède alors de nombreuses enseignes de prêt-à-porter grand public (Chevignon, Kookaï, Caroll, Naf Naf etc…).
A la recherche d’un nouveau souffle, la marque San Marina se modernise à partir de 2009 en rénovant tous ses espaces de vente et en axant son image sur ses racines provençales.
Les difficultés de Vivarte l’ont toutefois conduit à céder progressivement ses différentes filiales. C’est dans ce contexte que début 2020, un mois avant le démarrage de la crise sanitaire de la Covid 19, Vivarte a cédé sa filiale SMC Services qui exploitait notamment San Marina au trio d’entrepreneur Stéphane Collaert, Laurent Portella et la société d’investissement Grimonprez.
A la suite des périodes de confinement qui avaient entrainé la fermeture de ses magasins, San Marina, comme de nombreuses entreprises du retail, avait également initié avec ses différents bailleurs commerciaux des discussions en vue de solliciter des abandons et des étalements de certains loyers. Les dirigeants avaient également réalisé des apports afin de soutenir au mieux la société dans ce contexte de crise.
Par ailleurs, la société avait mis en place un plan stratégique reposant sur une rationalisation du parc de magasins et une amélioration de la stratégie digitale. Malgré l’environnement dégradé, avec les moyens financiers déployés et les actions et stratégies mises en œuvre pour relancer l’activité, San Marina anticipait une poursuite de la croissance de son chiffre d’affaires et de retrouver dès 2022 un taux de marge autour de 55% de son chiffre d’affaires.
Or, en sus des difficultés liées au contexte de la crise sanitaire, par trois arrêts du 30 juin 2022 (n° 21-20.190, n°21-20.127 et n° 21_19.889) de la Cour de Cassation, les loyers des périodes de confinement, jusqu’alors gelés ont été rendus exigibles.
En outre, la saison estivale 2022 a été décevante. Dans ces conditions, San Marina a été contrainte de solliciter l’ouverture d’un redressement judiciaire, ouvert par jugement du tribunal de commerce de Marseille du 22 septembre 2022.
A l’ouverture de la procédure, l’objectif de la société était de présenter un plan de redressement. Cependant, compte tenu des difficultés structurelles du secteur du retail et du marché de la chaussure de ville (notamment car le cuir est délaissé au profit des baskets) mais aussi de certaines problématiques notamment de logistiques propres à la société, l’activité et la trésorerie de la société se sont dégradées très rapidement de sorte qu’ il s’est avéré que la société ne serait pas en mesure d’assumer à la fois son besoin en fonds de roulement, l’apurement de son passif et le coût de sa nécessaire restructuration. C’est dans ce contexte que les administrateurs judiciaires et la direction ont finalement initié début décembre un appel d’offres en plan de cession portant sur l’intégralité des actifs de la société.
Dans ce cadre, une offre de reprise en plan de cession, dite de « réserve » (pour le cas où aucun candidat repreneur sérieux n’aurait déposé d’offre de reprise) a alors notamment été présentée par les actionnaires et dirigeants portant sur un périmètre nouveau et rentable de magasins permettant le maintien d’un nombre maximal d’emplois. Cette offre était toutefois conditionnée à un accord avec un acteur tiers investisseur qui serait devenu actionnaire majoritaire de la structure de reprise. Après plusieurs semaines de discussion, cet accord n’a toutefois pas pu aboutir de sorte que les dirigeants ont été contraints de ne pas soutenir leur offre. Trois autres candidats avaient également déposé des offres de reprise mais ces dernières ne portaient que sur quelques fonds de commerce.
Au cours de l’audience d’examen des offres, le 10 février dernier, en l’absence d’offre de reprise en plan de cession ferme correspondant aux critères de la loi et malgré les efforts de l’équipe dirigeante et des organes de la procédure pour trouver une issue favorable à l’aventure San Marina, le tribunal n’a pu que constater l’impossibilité d’arrêter un plan de cession et la nécessité de convertir la procédure en liquidation judiciaire.
C’est ainsi que par jugement de ce lundi 20 février 2023, le tribunal de commerce de Marseille a converti la procédure de redressement judiciaire de San Marina en liquidation judiciaire sans poursuite d’activité. Ses 163 magasins ne rouvriront donc pas leurs portes et ses 680 salariés vont être licenciés.
Stéphane Collaert et Laurent Portella, dirigeants de San Marina restent pleinement mobilisés pour accompagner au mieux leurs équipes pendant cette période et déclarent ainsi : « La décision prise par le Tribunal de commerce vient clôturer 3 années au cours desquelles les équipes de San Marina se sont mobilisées afin de tenter de donner un nouvel élan à la marque. Nous pensons donc d’abord à toutes celles et ceux qui se sont engagés et battus dans ce projet aux côtés de l’équipe de Direction. Notre priorité́ demeure nos collaborateurs. Nous continuerons dans les prochaines semaines de concentrer notre énergie avec l’aide des services de l’État à les accompagner au mieux afin qu’ils retrouvent un travail dans les meilleures conditions ».
Les offres remises dans le cadre du redressement judiciaire mais non abouties pourront être réitérées dans le cadre de la liquidation judiciaire et les liquidateurs vont certainement initier un appel d’offres pour cession d’actifs isolés, notamment des fonds de commerce et de la marque, dans le cadre de la liquidation judiciaire.
Même si les dossiers ne peuvent être assimilés, cette nouvelle liquidation illustre malheureusement à nouveaux les fortes difficultés que connait le secteur du retail. Outre la retentissante liquidation judiciaire de Camaïeu à laquelle il ne faut pas assimiler les autres dossiers, ce sont en effet de nombreux grands noms du retail qui ont dû se placer sous la protection du tribunal ces derniers mois : Burton et Pimkie en octobre dernier, Kookaï, André, Go Sport ou encore Gap France au début du mois…
Contexte économique particulièrement dégradé et conséquences notamment des charges à régler au titre des périodes de confinement (décisions de la Cour de Cassation) malgré l’absence de chiffre d’affaires en parallèle, difficulté du secteur à s’adapter à une nouvelle demande, les causes des problématiques sont nombreuses et difficiles à endiguer malgré les efforts des parties prenantes. Il est à espérer que d’autres acteurs du secteur ne connaitront pas la même issue.
Ajilink (Frédéric Avazeri, associé, Marie Claude Nicolas et Romain Tarrade, collaborateurs) et Thevenot Partners – Gillibert & Associés (Vincent Gillibert, associé et Benjamin Silve, collaborateur).
JP Louis & A. Lageat (Jean-Pierre Louis, associé et Adrien Joly, collaborateur) et Les Mandataires (Vincent de Carrière, associé et Quentin Barbot, collaborateur).
Veil Jourde (Eugénie Amri, associé et Julia Callès, collaboratrice, en restructuring, Pauline Larroque Daran, associéet Marine Guille, collaboratrice, en social) et BBLM Avocats (Bernard Bouquet et Thomas Gagossian, associés) en qualité d’avocats de San Marina.
Cairn Partners (Maxence Bousquet, associé et Aldric Koso, collaborateur) en qualité de conseil financier de San Marina.
Corpcom (Guillaume Foucault, associé et Simon Degas, consultant Senior) est intervenu en qualité de conseil en communication des dirigeants de San Marina.
Par Gwenaëlle de Girval